MA Qun b. 1960

De longue date familière de l’art occidental, il serait cependant mal venu de vouloir séparer de sa sinité la peinture à la fois volubile et réfléchie de Ma Qun .

 
En effet, il y a toujours dans sa pratique, ce frémissement particulier de la matière, ce mouvement étranglé de la forme, cette lumière éclatée issue de son émanation même, ces plages lacunaires contrastées et ces foyers décentrés, assortis du rempart rassurant de la calligraphie fondatrice. Et se profilent conjointement diverses constantes de la peinture chinoise, à savoir qu’écrire et dessiner sont indivisibles, que la pesée des flux naturels ne déserte jamais la main et l’esprit de l’artiste, enfin, qu’en ces territoires émaillés de symboles, s’insinue en permanence la quête fusionnelle de l’être et de l’infini.

Toutefois, même s’ils existent, ce ne sont pas les traits archétypiques de l’esthétique chinoise qui nous interpellent, mais la façon dont Ma Qun les assimile et les contourne afin de creuser son propre chemin. Né au sein d’un milieu intellectuel aisé, adolescent précoce, il commence à peindre et à dessiner dès l’âge de huit ans, puis progressivement, au contact de maitres éminents, il s’initie à la calligraphie et aux arts martiaux avant de parfaire sa formation au fil de ses séjours à l’étranger notamment aux États Unis, et de se fixer à Paris en 1989. Certes, à l’instar d’autres protagonistes de sa diaspora, il aurait pu se tourner vers un réalisme anecdotique, voire ludique, ou bien du côté de la postérité du Pop Art, mais c’est l’envers du décor qui l’intéresse. Néanmoins, contrairement à son ainé Zao Wou-Ki, qui redécouvrit la peinture de son pays à travers Cézanne et Klee, mais à l’égal de son autre compatriote, Chu Teh Chun, c’est l’œuvre de Nicolas de Staël qui lui ménage de nouveaux horizons et stimule son imaginaire.

Alors, de conquêtes en renoncements, il décape résolument son style, le fluidifie ou le condense, et parvient à une synthèse picturale tissée de rythmes heurtés fardés de couleurs ardentes, où se rejoignent calligraphie et paysagisme abstrait, dans le souvenir revisité des compositions analogiques de de Staël, qui allient écriture fracturée et densité de la pâte. A ceci près que chez Ma Qun, l’abstraction apparaît plus marquée, puisque ne subsiste aucun élément directement identifiable, car ce n’est pas le paysage stricto-sensu qui le requiert, mais l’idée de paysage. Tout y est suggéré, fuse et se déploie avec une force modulée. Les formes se télescopent et s’intriquent, se dispersent et s’effritent, les taches et les signes ceinturés de masses voyageuses, s’échelonnent et trouvent leur juste place au cœur du chaos maîtrisé de la trame. Sous les feux d’une luminosité étale ou interstitielle, à l’acrylique ou à l’encre de Chine, un geste pulsionnel surveillé ordonne l’ensemble des unités confrontées, dans une suite de vertiges plus inquiets que jubilatoires, en recréant la houle de ces paysages intérieurs liés aux ressacs de la mémoire.

Par conséquent, ici pas de transposition, mais un brassage interactif de formes et de couleurs en révolution continue, qui répond aux seuls élans sensitifs du peintre, et où figure et abstraction ne se contredisent pas, mais s’épaulent et se complètent, tant leurs composantes se diluent dans un tout indissociable. D’ailleurs, comme le relevait Olivier Debré : «  C’était une illusion de penser que l’abstraction était détachée du monde. La peinture passe par le corps et n’est que l’image de la réalité. »

En somme, dans son œuvre, Ma Qun ne fait rien d’autre que nous dire avec ferveur l’exigence profonde qu’il porte en lui depuis ses débuts. Et cette exigence recoupe l’adage de la Renaissance : « Il pittore dipinge se » le peintre se peint lui-même.

 

Mai 2015

Gérard XURIGUERA