Combats plasticiens : L'humanisme en héritage: Trois peintres expressionnistes : Serge Kantorowicz, Hubert Haddad, Bruno Edan

12 June - 15 July 2022

PROLONGATION JUSQU'AU 15 Juillet 2022

 

Dans le cadre du Festival des Cultures Juives et du thème des héritages, l'exposition de la Galerie Saphir "Combats plasticiens" résonne comme une voix qui ne cesse de nous apostropher. Une voix inséparable de la peinture expressionniste. Une voix qui fait irrésistiblement lever en nous le désir fondamental de survivre et de désobéir aux injonctions de la désillusion et du renoncement. La voix de l'insurrection et de la beauté. Pour Bruno Edan, Serge Kantorowicz et Hubert Haddad la création est immense, l'espoir est sans fin. Dans un temps où tout peut advenir et où l'humanité se trouve confrontée à sa propre insuffisance rappelons nous que l'art est un combat. Une sorte de miracle de souffrance et d'espoir, et selon les mots de Gershom Scholem "L'infini brille à travers le fini et le rend plus réel et non pas moins réel".

 

L’expressionnisme se définit par l’écartèlement de la personnalité, l’irrationnel, le sentiment de la fatalité, dans une véritable révolution du regard et de la main, une modification radicale de la sensibilité qui repousse les complaisances de l’art mimesis.



Serge Kantorowicz

Peintre d'origine polonaise né en 1942, chevalier des Arts et des Lettres. Il étudie à l'Ecole des Beaux-Arts de Bruxelles (1962). Graveur pour les ateliers Maeght et dans l'atelier de son cousin Sam Szafran, il travaille pour Giacometti, Riopelle, Michaux, Tapiès, Joan Mitchell, Zao Wou-ki. A partir de 1973 il se consacre à la peinture en un flamboiement visionnaire qui embrasse l'univers dans toutes ses pulsations.


Il a exposé entre autres à la Galerie Nina Dausset, au Parlement Européen du Luxembourg, à la Galerie Krikhaar (Amsterdam), à l'American Hebrew Congregation (New-York), à la Galerie Guigon, à la maison de Balzac, au Musée Victor Hugo place des Vosges, au château de Saché ainsi qu'au château du Grand jardin de Joinville. Nombreuses sont les oeuvres acquises par le Fonds National d'Art Contemporain de la ville de Paris, le Parlement européen de Strasbourg, le Musée d'Art contemporain de la ville de Luxembourg, le Musée de Genève, les musées d'Art d'Odessa et de Kiev. Ses gravures et estampes figurent dans les cabinets d'estampes de Paris, Bruxelles, Cracovie et Cordoba en Argentine.


Serge Kantorowicz est un grand peintre tragique qui porte un regard à la fois facétieux et grave sur la condition humaine. La déportation de ses parents assassinés à Auschwitz pèse sur son inspiration comme une draperie noire. Il s'efforce d'exorciser l'épouvante par l'absurde et le burlesque, parmi ses influences les plus fécondes on peut évoquer Egon Shiele, Oscar Kokoschka, Alfred Kubin, Victor Hugo, Richard Gerstl, Bruno Schulz, mêlant ironie macabre et kermesse de succubes et d'égéries, il est le fils spirituel des écrivains du yiddisland ouvrant à la spectralité comme traversée des frontières entre passé et présent, royaume des morts et monde des survivants, mises en scène drolatiques et horreur d’un réel intrinsèquement fantastique dans l'exacerbation des limites du réalisme.


Depuis le fond obscur de sa mémoire de survivant de la Shoah se produit la vision hallucinatoire.  Le monde à l’envers et le miroir grotesque de la réalité constituant la métaphore irradiante de la folie, restituent les univers de Kulbak ou Rochman, de Franz Kafka et Bashevis Singer. Comme un sismographe frénétique, sa peinture évoque le théâtre de l'angoisse d'un Tadeusz Kantor et le tragique déchiré d'un Dostoïevski qui aurait lu la Kabbale. Ses Synagogues tremblent dans le feu du mystère intérieur. Aux yeux du peintre, la synagogue s'élève, sorte de Babel spirituelle où un traumatisme interne vient cristalliser les formes. Ce sont des Illuminations kabbalistiques à l'aura irradiante perpétuant un moment d'équilibre aussi rare qu'une aurore sumérienne.

Ainsi s'exprime le démonisme plastique du dibbouk: le cosmos en gestation explose dans les restes pantelants de tout un peuple. L'image scintille et se noie dans l'éclairage aveuglant du rouge et du vert. Mouvement un et multiple, celui des sillages de flammes des holocaustes. Scènes parcourues de frissons qui émanent d'un lit de braises et d'ambre. La seule beauté infrangible, pour apparaitre, doit être inventée, exsudée d'un feu intérieur, de l'agrégat de coulées incandescentes qui attaquent la rétine en nappes radieuses sur l'écran bleu de mosaiques romaines.
 
C'est un art visionnaire et morbide, somptueusement agonique. Serge Kantorowicz peint aussi retiré que le souverain du Château. C'est un démiurge de la nature qui métamorphose la couleur dans une abondance magique. Sa kabbale personnelle est un chaos où saignent les murmures lointains du désastre. La vision cosmogonique et métaphysique se mariant à un langage plastique oraculaire gonflé de nuit. Émerveillement, envoûtement de ce démiurge qui demeure ellipse fulgurante. « Jamais il ne verra le soleil, dit Plotin, sans être devenu semblable au soleil ». Ombre du sacré ou divin ombrage, le don de l'artiste se situe-t-il ailleurs que dans cette tremblante incertitude ?

 

 


 
Écrire comme forme de la prière, écrivait Kafka. Peindre, c’est être en prière. La brûlure sans consumation. L’art qui  brûle et ne consume pas. C’est ainsi qu’est apparut à Moïse le buisson ardent.



Hubert Haddad

Né à Tunis en 1947, Hubert Abraham Haddad a suivi l’exil de ses parents quelques années plus tard, à Belleville, Ménilmontant puis dans les banlieues populaires. En prise directe avec la poésie contemporaine au sortir de l’adolescence, il fonde la revue Le Point d’être  dans la mouvance du surréalisme. Immense écrivain, il est récompensé par de nombreux prix et est traduit dans une quinzaine de langues. Depuis 2016, Hubert Haddad est l’initiateur et le rédacteur en chef d’Apulée, ample revue annuelle internationale de littérature et de réflexion.


En même temps qu’il écrit, Hubert Haddad a toujours peint et dessiné, mais cette part demeure chez lui un peu secrète, volontairement en retrait, dans la confidence de Michaël, son frère artiste peintre tragiquement disparu.


À partir des années 1990, ses rares expositions (individuelles ou de groupe) répondent à des sollicitations circonstancielles, liées le plus souvent à des résidences d’auteur et des événements littéraires. Il a beaucoup écrit sur l’art – des essais aux éditions Hazan (le Jardin des peintres, René Magritte), des récits (sur Henri Rousseau ou Francis Bacon), des catalogues (Cremonini, galerie Claude Bernard) – et à l’occasion  illustré certains de ses ouvrages (Le Ventriloque amoureux, Zulma, les Coïncidences exagérées, Mercure de France, l’êcre et l’étrit, dessins/poèmes, éditions Jean-Michel Place…)  Les Nouvelles d’un front, paru en mars 2022 aux éditions du Contrefort, associe deux nouvelles de G.-O Châteaureynaud à ses œuvres picturales.


 


Expositions

  • Les Silos, médiathèque de Chaumont-en-Champagne, exposition du 17 septembre au 15 novembre 2004.
  • Galerie de la Médiathèque Pompidou, Châlons-sur-Marne, 27 polyptiques sous verre, juin 2005.
  • La Galerie (Belfond) rue Guénégaud, Paris, portraits d’artistes, vingt illustrations pour l’essai Les Miroirs voyants de Marc Alyn, juin 2006.
  • Galerie les Vergers de l’art, rue de la Perche, Paris.   « Des peintres écrivains », en hommage à Pierre Klossowski (exposition collective, juin 2007).  
  • Centre d’art galerie Grand Angle, Voiron,  exposition Paréidolie, octobre 2014
  • Musée Ingres, dessins, novembre 2014 (dans le cadre du Festival Lettres d’automne de Montauban dont Hubert Haddad était l’invité d’honneur)


Le soleil, disait Héraclite, est non seulement nouveau chaque jour, mais « sans cesse nouveau continûment ». Cette « venue à l’être », cette puissance inextinguible de créer, cette épiphanie de l’absolu dans le visible, ce feu intérieur à l’univers dont parlaient les grecs antiques, Hubert Haddad le possède. Sa peinture suscite une jouissance où l’affect se mêle à la couleur qui fait éclater de l’intérieur comme éclate la grenade dans l’éclat pur, l’émanation indestructible d’une totalité spéculaire. De magnétiques orbes abrogeant les incombustibles fenêtres et parfois de rouges vacillements de cœurs trépassés allument la claire peau des étoiles.

La poésie fascinée regarde du côté de la peinture jouant à briller de mélancolie dans les paysages mentaux tantôt véhéments et brûlants tantôt resplendissants d’une joie physique intarissable, d’une faim plus pure et plus complexe que l’intériorité de l’artiste. Le reflux de la mer perpétue l’absence et la présence, l’ampleur mythologique d’une réalité quotidienne qui s’engouffre dans les lignes du chant. Le soleil noir est cette course vers quelque fin, néant qui rôde en écho au splendide alexandrin d’Agrippa d’Aubigné  : «  le lieu de mon repos est une chambre peinte  ». Chambre inconnue qui nous emporte au-delà de nous-mêmes, vers la merveille secrète, d’une vision illuminante. Tout l’univers de l’artiste est convoqué comme la seule étincelle évanescente, l’intuition de sa propre source dans un face à face exalté. Fusionnant au cœur du monde, la peinture est ce nœud de forces consumées dans l’acte même qui la noue.

Qu’est-ce que l'univers sensible et obscur et irradiant lorsque les signes visibles les plus scintillent au firmament ? Dans une sorte d’immersion crépusculaire Hubert Haddad connaît ce frisson du mouvement et du déploiement des ombres que nous sommes, de cette présence que Pindare nomme « l’ombre d’un songe». En ce lieu terrestre que nous parcourons s’ouvre un abîme que la connaissance du monde ne saurait combler. Le théorème des façades et des fenêtres que l’artiste érige dispense une lumière qui vient de l’intérieur. Fenêtres dressées dans les fonds pour exorciser les hasards de la lumière.  L’éblouissement de la pensée est un paon avec des plumes à cent pupilles. Sur le seuil où vient se placer l’artiste s’ouvre le champ de l’éternel retour. Retour qui est aussi une découverte. La fenêtre est cette clarté limpide de l’ouverture et de la dissociation qui commande aux surfaces du monde  : terrible et radieuse.



Bruno Edan (1957-1981)

 

“Bruno Edan a dans son court et tragique destin, vraiment incarné le génie même d'un artiste” (Olivier Debré)


Expositions

  • Oeuvres de Bruno Edan, salle du conseil. Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris, 1981.
  • Rétrospective Galerie André Malraux, Maison de la culture de Rennes, 1983.
  • Bruno Edan, L'Urgence de peindre, Dol-de-Bretagne, 2017.



Son oeuvre retrace une trajectoire entre la colère et l'abandon, la détresse et la sublimation. En 1974, il entre à l'Ecole des Beaux-Arts de Rennes. Sa  peinture reflète l'esprit de la révolte et des combats. Ses idéaux s'inscrivent dans l'expressionnisme, le mysticisme, la découverte de l'art africain et une quête d'altérité sous tous ses aspects. De toutes ses forces il lutte contre le racisme et l'antisémitisme, le colonialisme. En 1977 il commence à tenir un journal intime où il manifeste toute sa tendresse pour la “regrettée et attachante Anne Franck”. En 1980, il entre à l'Ecole supérieure des Beaux-Arts où il intégre l'atelier d'Olivier Debrè. Il est foudroyé par les suites d'une crise d'asthme en 1981.

Dans le pathos originel, Bruno Edan et l’expressionnisme développent une systématique de l’exacerbation et du paroxysme. Un clou planté dans les nerfs. Une vie libérée du monde extérieur, prise dans la pure vibration de sa vérité, à l’instar de l’être humain qu'il a été. Recherche passionnée de l’expression humaine dans la distorsion et dans les transes. La peinture s’avère donc lieu de tension et de décharge de l’élan pulsionnel.  L’acmé de l’œuvre est explosion, implosion dans l’ailleurs. Dans l’au-delà de la perte. Dans une jouissance inimaginable. Celle d’une initiation indépassable parce que jamais accomplie.

 

La peinture appelle l’excès, la transe, la transmutation du réel. Elle est aussi une impossibilité fondamentale à être. Le peintre est au cœur d’une érosion centrale de l’âme qu’il ne parvient pas encore à manifester. Il évoque son admiration pour Picasso, Mondrian, Manessier, Miro, Marcel Duchamp, Jackson Pollock. Mais c’est Basquiat l’innomé qui  est son exact contemporain. Bruno Edan se révèle explosif comme un expressionniste. Lorsque l’angoisse est portée à incandescence et consume tout.  On pense aux Fauves, et dans leur sillage à Die Brücke, aux viennois. A ce même sentiment d’angoisse que l’on retrouve chez Richard Gerstl.

Et cette surcompensation dans le paroxysme et la transe. En tant qu’expressionniste, le peintre ne peut exister que dans un réel fondu dans la fournaise de l’angoisse, dans un éclatement d’images, dans le noyau d’infracassable nuit de l’expressionnisme  la matière en fusion emmêle les scories du grotesque et du sublime et dans les hurlements du chromatisme les grandes figures de christ maçonnées de sang et de boue ressemblent à des golems de Permeke. Des monstres difformes surgissent évoquant les sculptures de Germaine Richier, Chadwick, Roszak. Le temps du visage était nécessaire à Bruno Edan pour peindre sa vérité : l’amour et la souffrance. A cet égard il évoque Joseph Czapski, peintre de l’humanité tragique, en qui il aurait trouvé un frère spirituel.

 

Delphine DURAND

 

 

Combats plasticiens : l'humanisme en héritage

trois peintres expressionnistes

serge kantorowicz, hubert haddad, bruno edan

 
Du 12 au 27 juin 2022.

 

Vernissage, dimanche 19 juin de 18h à 21 heures.

 

Galerie SAPHIR

69 rue du Temple

75003 Paris

Tous les jours de 13h à 19 heures